mercredi 26 août 2015

Melinda Saint-Louis: «Le traité transatlantique ne profitera qu’aux 1%».

Melinda Saint-Louis est directrice des campagnes internationales de Public Citizen, une organisation américaine qui s’oppose à la signature du traité transatlantique de libre-échange. Interrogée par Infolibre, elle estime que ce traité ne profitera qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique européo-américaine.



Melinda Saint-Louis est directrice des campagnes internationales de Public Citizen, une organisation américaine qui défend les consommateurs et s’oppose clairement à la signature du traité transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP dans le jargon bruxellois, ou TAFTA pour ses adversaires), entre l’Union européenne et les États-Unis. Elle a participé à des conférences organisées par le groupe Greens/EFA dans le cadre du Parlement européen. Infolibre, partenaire éditorial de Mediapart en Espagne, a eu l’opportunité de recueillir son point de vue sur un traité que l’experte n’annonce bénéfique qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique européo-américaine.

Les États de l’Union européenne traitent très différemment le TTIP. Certains en ont fait un vrai débat public. D’autres, au contraire, ont presque essayé de cacher son existence à leur population. Aux États-Unis, quelle place occupe le TTIP dans le débat public ?

En ce moment, le pays est davantage en proie à un débat sur le TTP, partenariat dit transpacifique, que le gouvernement est en train de négocier avec le Japon, l’Australie, la Malaisie et le Viêtnam. Les Américains sont très préoccupés par la disparition de postes de travail sur le sol national qu’est susceptible d’entraîner la signature de l’accord. Les standards de travail sont, en effet, bien plus bas au Viêtnam qu’aux États-Unis. Je crois que cette préoccupation quant aux dangers du TTP nourrit en même temps la lutte contre le TTIP, dont la signature est encore plus proche quoiqu’il soit moins présent dans le débat public.

Le TTIP est donc quand même l’objet d’un débat aux États-Unis… 

Oui, depuis plus de six mois déjà. Le débat se concentre notamment sur l’ISDS [tribunal d’arbitrage très conversé entre les investisseurs et les États] et les normes de protection des aliments. Une vaste campagne avait été lancée contre le mécanisme de législation « fast track », qu’a réussi à mettre en place le président Barack Obama. Par ce mécanisme, la signature de l’accord est facilitée, car le président n’aura plus qu’à le signer lui-même avant de le présenter au Congrès. La société civile s’est pourtant majoritairement opposée au « fast track », ainsi que les membres du Parti démocrate lui-même, pour qui le TTIP ne favorise que les grandes entreprises.

En Europe, les entreprises étant soumises à une régulation plus stricte qu’aux États-Unis, pensez-vous que le TTIP leur sera moins bénéfique qu’à leurs consœurs américaines ? 

Aux États-Unis, les entreprises ont davantage recours aux ISDS qu’ailleurs dans le monde. Des entreprises très litigieuses, notamment, ont l’habitude d’utiliser ce mécanisme juridique pour en tirer des bénéfices. L’Europe a donc de quoi se montrer inquiète : la signature du TTIP risque de donner beaucoup de pouvoir aux 47 000 entreprises américaines sur le territoire européen.

En même temps les grandes entreprises européennes ont autant soutenu ce projet que les américaines. Depuis les années 1990, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre, les grandes entreprises le promeuvent corps et âme ! Business Europe et la Chambre de commerce (les organisations patronales européennes et américaines) ont toutes les deux soutenu le TTIP.


L’Europe n’est pas la seule inquiète. Aux États-Unis, par exemple, nous craignons que les grandes banques européennes essaient d’utiliser le TTIP pour réduire le peu, trop peu, de réglementation financière que nous avons, difficilement, réussi à imposer suite à la crise économique. Je vois donc moins cet accord comme une lutte entre les sociétés américaines et européennes, que comme un traité qui ne bénéficiera, des deux côtés de l’Atlantique, qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique. Un traité qui augmentera l’inégalité entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien.

Quels effets pourraient avoir le TTIP sur le consommateur américain ?

Les Américains ont très peur que le TTIP ne dérégule à nouveau, ou devrais-je dire, encore plus, le système financier. De nombreuses personnes ont perdu leur maison ou leur travail à cause de la crise financière et de la façon dont Wall Street et les banques ont jonglé avec la finance. Pour l’instant, nous n’avons pas encore obtenu la réglementation dont le pays a vraiment besoin. Et si le TTIP vient fixer des limites à ce que nous espérions pouvoir réaliser dans l’avenir… La stabilité financière est très précaire : cela pourrait conduire à une nouvelle crise.

La réglementation concernant la nourriture et les produits chimiques est bien meilleure en Europe qu’aux États-Unis, bien que plusieurs États américains se battent pour l’améliorer. Le gouvernement de Californie, par exemple, essaie de réglementer ces deux secteurs ; mais le TTIP risque de réduire sa capacité décisionnelle en la matière.

Faites-vous allusion au principe de « coopération réglementaire » inclus dans l’accord ?
La coopération alimentaire soulève de nombreuses inquiétudes. Il y a aussi d’autres préoccupations. Aux États-Unis, il y a une politique très populaire, à droite comme à gauche, qui est connue sous le nom de Buy America ou Buy Local. Cette politique vise à réinvestir les impôts des contribuables dans les emplois locaux grâce aux achats publics. Et ainsi à donner la préférence à certaines entreprises locales.


La Commission européenne juge cette politique discriminante et voudrait que les États-Unis ouvrent entièrement leurs portes aux entreprises étrangères. Alors qu’une des solutions pour sortir de la récession consiste à privilégier, protéger et investir dans l’emploi local, le TTIP risque de nous y remettre en plein dedans !

Vous assurez que l’argument clef qu’a trouvé Obama pour faire passer le TTIP, c’est qu’il serait utile à la sécurité nationale…

Oui, c’est en effet un argument purement rhétorique, mais je dois admettre qu’il a un certain impact sur la population. Le gouvernement sait très bien qu’il n’arrivera pas à vendre le TTIP avec des arguments économiques. Surtout quand on voit que dans le meilleur des cas, le TTIP se traduira par une croissance de 0,2 % au maximum.

Question traités de libre-échange, les États-Unis tiennent sûrement le haut du panier, on en a une palanquée. Ils ont presque tous nui à la majorité de la population, pour favoriser une toute petite minorité. Les gens ne croient plus à ces grands projets. L’ALENA (accord de libre-échange signé en 1994 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) a fait disparaître 1 million d’emplois au lieu des 200 000 qu’il aurait dû créer.
La population est donc sceptique, elle voudrait un autre argument : alors le gouvernement explique que le TTIP est un moyen de s’allier à l’Europe contre la Russie !

* L'article a été publié le 10 juillet 2015 dans le journal infoLibre, partenaire de Mediapart.

Traduit par Irene Casado Sánchez

lundi 10 août 2015

Crise laitière 2015: mirages et réalités par André Pflimlin.



Résumé

L’annonce largement médiatisée d’un prix du lait à la ferme à 340€ minimum la tonne en France à partir du mois d’août apparait complètement invraisemblable dans un marché européen ouvert, alors que les cours mondiaux sont tombés en dessous de 200€ la tonne ! Sans changement de cap à Bruxelles, le prix du lait va continuer à baisser dans les prochains mois, malgré les protestations des éleveurs. Car, bien plus que la répartition des marges au sein de la filière et que l’embargo russe, c’est la politique laitière européenne pilotée par la Commission qui est directement en cause. Cette dernière a fait le pari de l’ouverture et de l’alignement du prix du lait sur celui du marché mondial jugé porteur. Elle a aussi abandonné la gestion du marché aux transformateurs et encouragé le grand export. Tout ceci, sans aucune garantie de revenu pour les producteurs, sans se soucier concrètement ni de la course à l’industrialisation, ni de l’accroissement des inégalités entre les régions. Et elle a ignoré superbement les mises en garde de nombreuses instances européennes. Cette crise laitière ou plutôt cette guerre du lait interne et externe, était inéluctable. Elle est le résultat logique du mirage du grand export, mirage dénoncé dès 2010 dans l’Europe laitière* et actualisé dans une note précédente (8)

Il ne s’agit pas pour autant de se replier sur l’hexagone ou sur le pré-carré européen mais de remettre la vraie priorité sur l’Europe, sur la bonne valorisation des 85-90% du lait sur notre marché interné, permettant de préserver des campagnes vivantes et attractives pour plus de 500 millions de citoyens-consommateurs. Et pour la modeste part de l’export vers les pays tiers, il faudra mieux définir nos cibles et nos produits, notamment avec nos voisins du sud de la Méditerranée.
Mais c’est aux politiques de redéfinir ce nouveau cadre, en remettant à sa vraie place ce grand export spéculatif et destructeur de nos campagnes. En exigeant de la Commission, l’étude et la mise en place de toute urgence, d’outils de préservation du revenu des éleveurs tels ceux existant aux Etats unis ou ailleurs. Et sachant que le relèvement du prix d’intervention ne peut être qu’un geste temporaire et coûteux s’il n’est pas assorti d’un ajustement de l’offre.

En fait, c’est la combinaison d’une garantie de marge pour les éleveurs et d’un réajustement dynamique des volumes selon l’évolution du marché qu’il convient d’étudier rapidement pour une mise en œuvre au niveau de l’Union. Il y a plusieurs propositions sur la table.
Au niveau français c’est aussi la constitution d’OP horizontales, de bassin, qui peut donner un réel pouvoir de négociation aux producteurs, en privilégiant le débat plutôt que les manifestations devant les laiteries ou dans les supermarchés.

Au niveau de la ferme, ces nouveaux outils devraient permettre une réorientation vers des systèmes de production plus autonomes, plus herbagers, refusant l’industrialisation et la course au volume, grâce à une meilleure valorisation du lait vers des produits régionaux et des services environnementaux, autrement dit vers les biens publics associés à ces modes de production mais encore trop peu rémunérés.

Préliminaires

Tout semble à nouveau possible, le meilleur et le pire ! Le 24 Juillet, veille des grandes migrations estivales, lors de la rencontre des différents acteurs de la filière laitière avec le ministre de l’Agriculture, un accord aurait été trouvé pour que le prix minimum du lait en France soit de 340€ la tonne à partir du mois d’août et jusqu’à fin 2015 ! Une éclaircie bienvenue dans un ciel bien sombre pour les producteurs. Cependant, les communiqués de presse relatifs à cette déclaration montrent des interprétations très diverses, voire divergentes (1)

A l’autre bout de la planète en Nouvelle Zélande, le cours de la poudre de lait écrémé est descendu à 1300€ la tonne lors des dernières cotations [GDT du 4 août (2)] avec une nouvelle chute de 14,5% faisant suite à une dizaine de baisses successives depuis mars 2015. Le prix du beurre étant descendu à 2100€ la tonne, cela donnerait un prix en équivalent lait autour de 160€ la tonne ! Même si les variations du prix du lait européen sont plus tamponnées que celles des produits industriels du marché mondial, la pression à la baisse va encore se renforcer pour les prochains mois.

Du coup on pourrait espérer que de nouvelles propositions, plus réalistes qu’un prix garanti par Paris, plus durables et généralisables à l’ensemble de l’Union, soient enfin examinées par les pouvoirs publics nationaux et surtout par les instances européennes, avant que la situation ne devienne incontrôlable dans une majorité de pays de l’UE. Car l’offre de produits laitiers sur le marché mondial reste supérieure à la demande, les stocks sont très élevés, les prix mondiaux de la poudre de lait et du beurre sont au plus bas depuis 10 ans. Donc, sauf accident climatique majeur (3) il n’y a pas de perspective d’amélioration du prix du lait avant 2016, l’exception française semblant d’autant plus surprenante !

Un mirage en France, avec un prix du lait minimum à 34 centimes par kg ?

Que signifie ce prix minimum de 340€ la tonne à partir d’août 2015, pour la France, soit + 40€ /t sachant que nous avions eu un prix moyen de l’ordre de 300€ la tonne sur avril et mai ? La revalorisation envisagée porterait sur les produits frais et certains fromages sous marques MDD représentant environ le quart de la production transformée. Or même avec un prix objectif à 360€ la tonne pour cette fraction, on est loin du compte pour faire les 340€ sur l’ensemble de la collecte. La déception sera rude dès la paie de lait du mois d’août; ce d’autant plus que ces 340€/t. «promis» sont déjà très loin de couvrir les coûts de production pour la plupart des éleveurs (4)

Par ailleurs, les cours des poudres et du beurre [GDT/ NZ (2)] ont encore fortement baissé sur juillet et début aout, et cette baisse ne s’est pas encore répercutée sur les cours européens pour ces même produits. Le prix du lait à la ferme devrait donc continuer à baisser en Europe, chez nos voisins allemands et belges notamment, qui approvisionnaient déjà très largement nos supermarchés en lait UHT depuis ce printemps (+ 60% d’importation en mars-avril (5).

La FNPL annonce que les distributeurs se sont engagés à ne mettre en rayon que des produits français et qu’elle y veillera ! Même si certains patrons de la grande distribution dont Auchan ont fait des promesses dans ce sens, comment vont-ils concrétiser leur annonce et boycotter le lait allemand malgré un différentiel de prix qui était déjà sensible ce printemps et qui va s’amplifier si le prix du lait en France passait à 340€ alors qu’il continuerait à baisser en Allemagne ! La laiterie MUH bien connue par nos centrales d’achat, était à 280€ la tonne en avril – mai et devrait annoncer une nouvelle baisse pour août à 270€ voire moins. Car ARLA qui a racheté la MUH, a déjà annoncé cette « bonne nouvelle» en Angleterre.(6) Peut on ainsi décréter un prix du lait minimum garanti en France, un pays fondateur de l’UE dans un marché européen unique avec des volumes d’échanges considérables entre pays de l’Union ( plus du tiers de la production en France et en Allemagne) et avec une Direction de la Concurrence à Bruxelles qui veille au grain ? Dans le cadre européen actuel, le blocage des camions à la frontière ou le vidage des rayons de lait «étrangers» des supermarchés ne seront tolérables, ni par les Etats, ni par Bruxelles. Certes le consommateur doit pouvoir exercer son choix préférentiel pour des produits régionaux ou nationaux dans chaque pays mais ce n’est certainement pas à un syndicat, majoritaire ou pas, de l’imposer.

Les ministres de l’agriculture se retrouveront dès le 7 septembre pour parler de cette crise de l’élevage, bien au-delà du lait et de la prolongation de l’embargo russe. Ce même jour il y aura aussi de nombreux éleveurs dans les rues de Bruxelles. Même le COPA, qui regroupe le syndicalisme majoritaire dont la FNSEA, et qui a largement cautionné le démantèlement de la PAC et la dérégulation du marché laitier européen au profit du marché mondial, vient de lancer un appel pour une grande manifestation sous les fenêtres du conseil des ministres. (7) Pour faire oublier ses complaisances envers -voire sa cogestion avec- la Commission ; pour camoufler ses liens trop étroits avec l’agro-industrie pourtant officialisés par le mariage avec la COGECA ; pour revendiquer une nième aide exceptionnelle ou pour proposer une vraie réforme ?

C’est effectivement le bon moment pour rediscuter de réforme de la politique laitière.
Les propositions, peu audibles en 2009, se sont affinées et semblent plus recevables aujourd’hui par de nombreux pays de l’UE et donc par les instances dirigeantes de l’Union: le Conseil, le Parlement et même la Commission !

Certes, la Commission est restée ferme sur sa stratégie d’exportation et de libre échange tout azimut, oubliant les principes fondateurs de la PAC pourtant repris dans le traité de Lisbonne, et abandonnant toutes les protections des producteurs et des consommateurs européens. Cela s’est traduit notamment par :
- une gestion mécanique de sortie de quotas sans garantie de revenu pour les éleveurs et sans mesures concrètes pour maintenir le lait dans les régions défavorisées souvent les plus herbagères.
- une course aux accords bilatéraux suicidaire pour l’Union Européenne puisque ces accords de libre échange vont transférer le vrai pouvoir aux multinationales aux dépens de la souveraineté des pays et de l’Union.(8)
Le président Junker en prenant ses fonctions à la tête de la Commission a dit que c’était le mandat de la dernière chance ! Les derniers évènements, les impasses ou mauvaises solutions apportées aux problèmes des migrants comme à ceux de la Grèce confirment cette fin de règne avec un retour en force des égoïsmes nationaux décomplexés! Mais il ne faut pas désespérer, puisqu’il y a de vraies solutions, dans le secteur laitier comme même dans d’autres…A condition de tirer rapidement les bonnes leçons des erreurs du passé et d’un contexte mondial déprimé.

Un contexte mondial de surabondance donc des prix déprimés à court et moyen terme.

Plutôt que de fantasmer sur la demande mondiale à long terme, sur un manque de lait en 2030 correspondant à près de la moitié de la production européenne (AG Sodiaal 2015) et bien plus encore en 2050 (FAO 2006) il semble plus urgent d’assurer la survie des producteurs de lait européens à court et moyen terme.

Or le contexte mondial a changé depuis un an : la demande solvable s’est rétrécie alors que l’offre s’est renforcée et ce pour la plupart des matières premières. (Chalmin, Cyclope 2015)
- Le prix du pétrole a baissé de près de moitié et ce prix devrait rester faible pour quelques années. Des investissements nord américains considérables ont été réalisés dans l’extraction des sables et schistes bitumineux, ainsi que les gaz de schiste depuis une dizaine d’années. Les Etats Unis vont redevenir autosuffisants en pétrole et carburants. Ils n’auraient plus besoin du maïs-éthanol sauf comme adjuvant non polluant. L’accord avec l’Iran va aussi relancer les exportations de ce pays. Inversement, les recettes des pays pétroliers étant en baisse, il en va de même pour leurs importations, même pour l’alimentaire.

- Les récoltes de céréales et graines à huile ont été particulièrement abondantes en 2014 et s’annoncent bonnes pour 2015, alors que là aussi la demande solvable mondiale est molle.
Si les Etats Unis réduisaient la production d’éthanol -captant 40% de leur production de maïs- ils mettraient un nouveau surplus de grain sur le marché, faisant chuter les cours.
- Le cours du sucre et des céréales suit aussi celui du pétrole depuis une dizaine d’année du fait du lien avec l’éthanol de maïs ou de canne comme carburant
- Parallèlement certains pays émergeants sont en difficulté ou en panne, le Brésil et la Russie notamment. La Chine connait un ralentissement de sa croissance qui pèse sur toutes ses importations dont le pétrole, le fer, et le lait…Elle investit aussi dans les très grands troupeaux. Inversement, l’Inde est autosuffisante en lait avec une croissance de la production de 4 à 5% par an, faite par 80 millions de micro-producteurs, souvent avec une à deux bufflonnes!

Le mirage chinois s’estompant, l’Europe lorgne vers les nouveaux « tigres » d’Afrique : le Nigeria, le Soudan, l’Ethiopie etc… qui affichent une croissance de plus de 5% sur plusieurs années. Mais ces pays sont aussi les champions de l’inégalité, de l’insécurité et de la corruption. Ils ont aussi une population agricole très importante qui serait mise en danger par nos exportations accrues de poudre de lait via les accords de partenariats en cours de ratification (9)

- Il semblerait bien plus raisonnable de privilégier des accords de partenariats avec les pays voisins du sud de la Méditerranée qui sont déjà nos principaux clients et dont la plupart sont structurellement en manque de terre et d’eau pour développer la production laitière comme proposé dans une note précédente. (8)

Mais cela demandera du temps, de la volonté et de la diplomatie pour une gestion politique sereine de ces accords.

Retour à Bruxelles avec quelques propositions pour mieux gérer ce moyen terme

Nous avions aussi démontré dans cette note (8) que l’ouverture du marché européen au marché mondial se traduisait par une volatilité du prix du lait qui peut varier du simple au double en l’espace d’un an. Cette volatilité est incompatible avec le développement d’une production laitière nécessitant des investissements lourds à 20 -30ans. C’est pourquoi la plupart des pays protègent leur marché laitier et leurs producteurs, la Nouvelle Zélande étant l’exception qui confirme la règle.

En Europe et en France tout particulièrement, malgré la réalité de la crise, la transformation continue de rêver au grand export comme le montrent les enquêtes et témoignages rassemblés dans le dernier numéro de la Revue laitière Française (5) Et malgré de beaux discours sur la diversité de nos régions et de nos produits, la majorité des investissements iront encore aux tours de séchage, là aussi un investissement pour 20-30ans ! Et ce sont principalement les Coop. Laitières qui font ce pari au nom des éleveurs. Or en France nous avons déjà un mix-produit avec une part de poudre très supérieure à celle de l’Allemagne et nos Coop vont encore renforcer ce ratio. Pendant ce temps, l’Allemagne a développé une production fromagère, peut être plus standards mais supérieure en volume à celle de la France et s’installe solidement sur le marché interne européen. En 2013 les exportations de produits laitiers sur le marché européen ont été de 8 Mrds € pour l’Allemagne contre 4,5 pour la France.

Aujourd’hui, le prix du lait en Allemagne suit plus rapidement celui du marché mondial qu’en France. Demain avec encore plus de poudre dans notre mix-produit ce sera l’inverse! On l’aura cherché ?
Mais au-delà de nos divergences de stratégies de laiteries, les producteurs allemands ont des coûts de productions élevés (4) proches des ceux des producteurs français. Avec un prix à moins de 300€ ils ne couvrent plus leurs charges incompressibles et recherchent aussi de nouveaux outils pour sécuriser leur revenu. Dans les pays de l’Est, suite à l’embargo russe, le prix du lait est tombé au niveau, voire en dessous du prix d’intervention, à 215-220€ / t. Il y a donc de nombreux pays qui réalisent que ni la PAC ni le paquet lait ne permettent à leurs éleveurs de survivre face à ce type de crise. Bousculant l’inertie de la Commission, Stéphane le Foll et les autres ministres de l’agriculture ont décidé d’en débattre dès le 7 septembre. Mais sur quoi porteront ces débats ? Deux mesures pourraient faire consensus assez facilement, sans régler les vrais problèmes pour autant : le report des pénalités pour dépassement de quotas qui concerne la plupart des Etats du Nord Ouest sauf le RU et le relèvement du seuil d’intervention.

1 . Relever de suite le prix d’intervention : une fausse bonne solution.

Ce prix d’intervention à été abaissé à à 215- 220€ / tonne eq-lait depuis 2007 et non modifié depuis. A ce niveau il ne s’agit plus d’un filet de sécurité puisque largement en dessous du prix de survie de la très grande majorité des producteurs européens. L’une des revendications qui fait largement consensus serait de relever ce prix d’intervention et de l’actualiser périodiquement en fonction des coûts de production car aujourd’hui ce seuil n’a plus aucune signification économique (CDR 2013, 2015, PE 2015,)(10,11) Cependant la Commission prétend que ce n’est pas une bonne option car toujours insatisfaisante pour une majorité de producteurs voire de pays et surtout coûteuse pour le budget UE si l’on relève le seuil de façon significative.

L’argument mérite attention vu la diversité des systèmes laitiers, des coûts de production et des prix réels payés ces dernières années Mais il serait plus recevable si la Commission avait fait des estimations de coûts avec différents seuils et présenté les pays bénéficiaires ou pas ...sur la dernière décennie. En fait dès 2007 la Commission avait parié sur un marché laitier mondial porteur et des prix assez élevés pour ne plus avoir à recourir à l’intervention. Celle-ci a cependant du être activée lors de la crise laitière en 2009, sous la pression du conseil des ministres mais sans modification du seuil.
Ce prix d’intervention se décompose en deux parties : la poudre de lait écrémé (PLE) dont le prix d’intervention est 1678€ / t et le beurre à 2800€ /t Or les dernières cotations UE de ces deux produits se rapprochent des prix d’intervention. la PLE était à 1750€/t et le beurre en dessous de 3000€ / t au 22/ 07 /2015. Et les cotations en NZ ont fortement baissé pour ces deux produits depuis début juillet mettant la PLE à 1300 € et le beurre à 2100 € /t. Donc on est tout près du seuil permettant de faire jouer l’intervention et le stockage public. La Commission a effectivement lancé la mécanique dès la fin juillet. Mais à ce niveau de prix on ne peut pas espérer faire remonter le prix du lait à la ferme de façon significative.

Inversement, remonter le seuil de façon significative, de 20% par exemple pour mettre le seuil à 2000€ / t. pour la poudre de lait et le prix du lait à 265€ /t eq lait temporairement permettrait de sortir du marché européen un tonnage suffisant de poudre et de beurre pour faire remonter les cours de l’ensemble des produits, en attendant la mise en place de nouvelles mesures mieux adaptées et plus pérennes. Un seuil plus élevé serait plus satisfaisant pour les producteurs par rapport à leurs coûts de production mais coûterait plus cher au budget européen. De toute façon, c’est à la Commission de chiffrer les coûts de différents seuils et les modalités (volumes et durée) pour permettre aux politiques de choisir en connaissance de cause.
Mais relever le seuil de façon significative sans maîtrise des volumes serait un retour aux mécanismes d’avant les quotas qui se sont traduits par des montagnes de beurre et poudres
et des dérapages budgétaires considérables … justifiant la mise place des quotas en 1984 !

C’est pourquoi, à la demande de plusieurs syndicats, il faudrait lier le relèvement de prix d’intervention à une réduction obligatoire de la production durant ces périodes de surplus

2. Une proposition plus durable: une garantie de marge et une régulation souple des volumes

La volatilité du prix du lait en Europe n’est pas une fatalité ; elle est le résultat d’un choix politique d’alignement des prix internes sur les cours du marché mondial beurre- poudre alors que l’essentiel du lait européen est bien mieux valorisé sur le marché interne . De plus ce marché mondial étant marginal en volume, dépendant principalement de trois fournisseurs et soumis à leurs aléas climatiques et fonctionnant sans stocks publics de régulation il est évidemment très volatil.(8)
La plupart des agro-économistes européens et nationaux (12) ont très vite admis que «Bruxelles» ne reviendra pas sur les décisions de 2003 de libéraliser le secteur laitier. Par conséquent ils se limitent à ressortir des recettes classiques sans croire eux même à leur efficacité pour le secteur laitier : le marché à terme, les assurances privées, le lissage des impôts, l’épargne volontaire … De fait ils admettent la primauté du marché mondial et ne peuvent proposer que des sparadraps pour atténuer les petits coups pour les plus solides; tant pis pour les autres. Le «paquet lait » ne peut pas plus, apporter de garantie de prix et de revenu dans un contexte de concurrence folle, d’exacerbation des égoïsmes régionaux et nationaux, de guerre du lait de tous contre tous.

Certes les transformateurs et les distributeurs s’en sortent bien mieux que les producteurs. Ces derniers ont de très bonnes raisons de revendiquer une plus large part de la marge accaparée par l’aval. Mais c’est l’ensemble de la filière qu’il faut sécuriser en protégeant mieux le maillon le plus faible mais aussi le plus indispensable: les producteurs, sans lesquels il n’y a pas de transformateurs.
Il ne s’agit pas de revenir aux quotas mais de proposer un système qui allie une meilleure sécurité du prix du lait ou mieux, une garantie de marge, avec une flexibilité contrôlée des volumes.

a) Quelques rappels sur le projet américain

Aux Etats unis le lait est considéré comme un produit sensible tant pour le producteur que pour le consommateur justifiant une politique spécifique et une intervention forte de l’administration, ceci de puis la crise de 1930. Jusqu’en 2014 le principal mode de soutien aux producteurs portait sur la compensation de 45% de la différence du prix du lait du marché par rapport à un prix objectif. Ce dispositif était plafonné à 200 vaches, laissant les grands troupeaux un peu sans filet.(13) Ainsi en 2009, cumulant une forte chute du prix du lait et une forte hausse de l’alimentation, bon nombre de ces fedlots laitiers ont fait faillite ou ont souscrit au plan d’abattage indemnisé du troupeau. Comme plus de la moitié de la collecte étasunienne provient de troupeaux de plus de 1000 vaches, les politiques ont été réceptifs à de nouvelles formes se sécurisation de la production, dont celle portée auprès du Congrès, par les producteurs (NMPF) dès 2010.

Le projet initial des producteurs portait sur deux volets obligatoirement liés : une garantie de marge sur coût alimentaire et une réduction obligatoire des livraisons de 1 à 4% en cas de crise définie par une baisse de la marge précédente et l’importance des surplus

Cette combinaison des deux volets avait été étudiée très sérieusement par plusieurs universités américaines et paraissait à la fois plus sécurisante pour les éleveurs et moins coûteuse pour le budget fédéral que le soutien au prix du lait. Mais elle a fait l’objet de fortes pressions d’une partie de la transformation opposée la régulation des volumes. Au bout du compte ce dernier volet a été abandonné au profit d’achats publics pour l’aide alimentaire interne dont le budget est trois plus important que celui de l’agriculture ! Par conséquent les producteurs américains disposent bien d’un outil portant sur les deux aspects : la garantie de marge sur coût alimentaire et les achats publics massifs en cas de chute du prix et de la marge. Ce dispositif est en place depuis début 2015. (14) Pour la garantie de marge sur coût alimentaire il s’agit d’un contrat volontaire à souscrire pour la durée du Farm Bill jusqu’à fin 2018 et pour des niveaux de protection choisis individuellement
- Une garantie de marge de base à 80€ / t de lait, ( $4/cwt) prise en charge par l’Etat
- Une garantie supplémentaire pour un volume de 20 à 90% de sa référence et pour une garantie de marge jusqu’à 160€/ t. Le coût de cette assurance supplémentaire est à la charge de l’éleveur, les niveaux les plus élevés étant les plus coûteux, voire dissuasifs. Les calculs montrent que le niveau intermédiaire à 130€ / tonne serait le plus intéressant, notamment pour les producteurs jusqu’à 200 vaches.
Ce Farm Bill laitier a été adopté début 2014 et la contractualisation a été ouverte à l’automne alors que le prix du lait était encore à plus de 400€ la tonne. Malgré ce prix exceptionnellement élevé, plus de la moitié des producteurs ont souscrits à ce dispositif pour 2015. Pour la campagne 2016 dont l’inscription vient de s’ouvrir, il est très probable que le nombre de producteurs et le taux de couverture seront nettement en hausse.

Mais plus que le niveau de marge couvert et l’intérêt financier pour les éleveurs américains, c’est le principe qui mérite d’être étudié pour une adaptation à l’extrême diversité européenne

b) Un projet de garantie de marge pour les éleveurs laitiers européens

Ce projet commun de garantie de marge laitière semble réalisable rapidement malgré deux difficultés importantes par rapport aux Etats Unis
- Le prix du lait entre pays de l’UE est très différent. Sur les 2 dernières années ce prix allait de simple au double entre les deux pays extrèmes, Lituanie et Chypre, mais avec une gradation continue entre les deux
- Les coûts de production aussi sont très variables selon les pays, notamment pour l’alimentation, le foncier et la main d’œuvre. Mais Il existe un outil commun de calcul de ces coûts de production : le RICA.
La Commission publie chaque année ces données RICA/ FADN, avec un certain retard lié aux délais d’envoi des données par l’ensemble des pays mais l’outil est opérationnel. Parmi les coûts enregistrés on peut sélectionner les principaux et avoir ainsi un suivi en direct ou avec actualisation trimestrielle ou semestrielle.
Par ailleurs, l’Institut de l’Elevage et l’Inra publient régulièrement des études approfondies sur les comparaisons de coûts de production et des revenus pour les systèmes laitiers plus particulièrement sur ceux du Nord de l’Europe (2007, 2012, 2015)(15) qui permettent de discuter des indicateurs les plus pertinents.

Par conséquent un système de garantie de marge semble faisable et parait mieux adapté à la diversité des pays voire des régions (montagne, régions ultrapériphériques …) qu’un système de compensation de prix.
Un test de suivi de la marge en France dès cet automne ?

En France nous disposons de l’IPAMPA, indicateur des coûts de production actualisé mois par mois par l’Institut de l’Elevage et FranceAgrimer. Nous savons calculer le prix du lait agrégé au niveau national ; Nous disposons donc de l’outil pour un suivi de marge au mois le mois sinon en temps réel, du moins avec un décalage limité.

Par conséquent il serait possible de tester cet outil très rapidement en France pour valider sa pertinence et sa faisabilité dans plusieurs régions ou bassins laitiers voire sur la France entière
Parallèlement on pourrait tester une adaptation du Rica en vue d’une extension à l’UE, en s’inspirant de ce que fait déjà la Commission avec un suivi trimestriel des marges agrégées au niveau européen …( cf le site Milk Market Observatory; UE Gross Margin) avec un décalage d’un ou deux trimestres . Cet outil étant opérationnel au niveau européen, une déclinaison par pays devrait être possible assez rapidement.

c) Un dispositif de régulation des volumes est indispensable.

La régulation par le marché mondial ne fonctionne pas sauf au prix d’une casse majeure de fermes laitières, de vies humaines sacrifiées et de régions en déprise.

La démonstration a été faite de façon claire en 2014 montrant que l’accélération de la capacité de production était très supérieure à l’évolution de la demande solvable à court terme. Le surplus de lait produit par les trois grands exportateurs a été de 11 millions de tonnes -dont plus de la moitié est du à l’UE- alors que le Marché Mondial des produits laitiers ne croit que de 2 millions de tonnes en moyenne par an sur la dernière décennie. D’où le retour de manivelle, avec l’excédent actuel et des stocks importants qui plombent le prix du lait depuis un an et pour les mois à venir.
Une deuxième démonstration est en cours dans différents pays. Même avec un prix de vente en dessous du coût de production, la majorité des éleveurs continue à produire et semble peu sensible aux signaux du marché tant prêchés par la Commission.

Les Néo-Zélandais ont continué à produire plus de lait en 2014-15 avec un prix du lait tombé à 250 € que l’année précédente avec un prix qui avait grimpé à 400€. Comme leurs coûts de production se situent autour de 200- 250€ /t main d’oeuvre incluse, ils continueront à produire même avec un prix du lait encore en baisse, en comprimant voire en supprimant les charges de concentré et d’engrais. Mais ils ont de très faibles charges de structures hors le coût du foncier.

Les producteurs danois aussi continuent à produire plus de lait que l’année précédente alors que le prix du lait est descendu à 310€ depuis quelques mois. A ce prix, ils n’ont plus de rémunération de leur travail familial mais ils perdent en plus 60 € par tonne de lait ! Car les banques veulent du chiffre pour le remboursement des dettes.

La plupart des éleveurs français n’en est pas là mais leur rémunération sera minime cette année avec un prix du lait autour de 320 € si tout va bien et un point mort autour de 300€ /t. (15)

d) L’observatoire européen du marché laitier (16) doit devenir une instance d’anticipation des crises et d’aide à la décision.

Un travail important a été réalisé par la Commission sous l’impulsion de Dacian Ciolos pour monter cet observatoire. Celui ci regroupe et actualise un grand nombre d’informations précieuses pour le suivi des productions, des produits, des prix et des marchés, au niveau des pays , de l’Europe et du monde Mais ces informations présentées tous les mois aux représentants de la filière laitière ne font pas l’objet de débats et de propositions encore moins de décision. Pour le moins, l’observatoire devrait définir des seuils d’alerte pour permettre aux politiques à la Commission d’intervenir plus tôt pour prévenir ou atténuer les crises. Pour cela l’Observatoire devrait disposer d’’informations beaucoup plus complète, notamment sur l’état des stocks. Rappelons qu’aux Etats Unis c’est le Ministère de l’agriculture qui gère le dispositif et qu’il dispose au mois le mois, à la fois des informations sur la collecte et les prix du et des aliments mais aussi sur la transformation, les différentes fabrications et les stocks ! Apparemment, nous sommes bien loin de cette transparence en Europe. Rappelons qu’en fin 2014 la Commission affichait un stock officiel quasi nul de beurre et poudres, stock privés déclarés inclus, alors que les frigos de la plupart des laiteries étaient pleins à raz bord depuis plusieurs mois et le sont encore aujourd’hui. La aussi il y a des progrès à faire.
L’EMB voudrait aller plus loin et faire de cet observatoire une Agence de régulation du marché pour rendre opérationnel son projet PRM

e) La proposition de régulation de l’EMB doit être testée rapidement.

« Le programme de responsabilisation face au marché » ou PRM est présenté de façon détaillé sur le site de l’EMB (17) Nous en rappelons les points essentiels car il s’agit de la proposition la plus aboutie disponible actuellement, comportant à la fois une identification précoce des crises et un programme d’action progressif. La crise est définie par l’évolution d’un indice de marge entre le prix du lait et le coût de production et l’activation du programme se fait sur trois temps :
- Une baisse modérée de l’indice entraine une alerte rapide avec des mesures incitatives pour le stockage ou la distribution de lait aux veaux.
- Une baisse plus forte doit enclencher un système de bonus-malus pour les éleveurs qui réduisent leur livraisons ou au contraire, produisent au-delà de leur référence.
- Une forte baisse qui se prolonge doit entrainer une réduction obligatoire des livraisons de quelques % pour tous les producteurs pendant plusieurs mois.
Aujourd’hui, tous les pays disposent de suivis précis des livraisons par ferme et par laiterie permettant de fixer les références futures, à actualiser périodiquement.
Comme pour la garantie de marge décrite précédemment une des difficultés est de définir les seuils au niveau des 28 pays L’autre difficulté est la réactivité du dispositif, et d’abord celle de l’Observatoire- Agence, donc de la rapidité de remontée des informations sans nuire à leur qualité.
Même si ce n’est pas spécifique au PRM, ce dernier multipliant les seuils d’alerte, semble plus exigeant.

f) Le tunnel de prix : une variante

Cette proposition présentée par l’EMB en 2011, puis discutée avec la Confédération Paysanne visait à faire converger le prix du lait à l’intérieur d’un tunnel tenant compte des coûts de production avec un prix mini et un prix maxi, les écrêtements du haut devant permettre de soutenir les prix bas.
La Confédération paysanne a peaufiné ce projet de tunnel de prix en y incluant un prix garanti pour un volume par actif et un mécanisme de réduction obligatoire mais modulé en fonction du volume de production individuel et du niveau d’autonomie du pays, l’objectif étant de faire porter davantage l’effort de réduction sur ceux qui ont augmenté le plus.(17)
L’EMB a par contre opté pour le dispositif d’ajustement des volumes décrit ci avant, apparemment plus pédagogique et plus adapté à la diversité des ses producteurs.

g) En France, des organisations de producteurs par bassin, par delà les appartenances syndicales

Le constat est très clair aujourd’hui : en France le grand nombre d’OP liés aux entreprises réduit considérablement leur pouvoir de négociation envers une poignée de gros transformateurs. De plus cette inféodation aux laiteries rend les OP concurrentes entres elles. C’était déjà le cas en Suisse en 2007 - 2008 mais nos politiques n’en ont tiré aucune leçon. Inversement une OP unique par Bassin de production rééquilibrerait le rapport de force au profit des producteurs. L’APLI, La Confédération Paysanne et l’OPL plaident toutes les trois en faveur de ces OP de Bassin et demandent aux pouvoirs publics de faire le nécessaire pour permettre leur mise en place. La FNPL a aussi fait des propositions dans ce sens lors de sa dernière AG. Tous les espoirs sont permis.

C’est cette reprise de responsabilité des producteurs sur leur territoire qui sera le meilleur atout pour le maintien voir le développement d’une production et d’une filière laitière dynamique et diversifiée avec un grand nombre d’éleveurs et un monde rural un peu plus serein . C’est aux pouvoirs publics de faire le nécessaire pour favoriser la mise en place de cette organisation territoriale , privilégiant ainsi le débat plutôt que les manifestations et les affrontements.

Mais soyons clair: ces OP de bassin doivent permettre aux éleveurs de peser davantage dans les négociations du prix du lait et des marges au niveau régional mais ce n’est pas à ce niveau que l’on peut espérer faire de la régulation de l’offre, mais bien au niveau européen.

En conclusion:

L’annonce invraisemblable d’un prix du lait à la ferme à 340€ minimum la tonne en France dans un contexte d’aggravation de la crise laitière européenne et mondiale, nous invite à prendre un peu de recul et à mieux hiérarchiser les problèmes et les solutions. Et par conséquent à pointer la politique laitière européenne de la dernière décennie, orientée vers le grand export. Sans attendre une nouvelle réforme de la PAC, pour mieux sécuriser et améliorer er le revenu des éleveurs il conviendrait d’agir simultanément aux trois niveaux :
  • Au niveau européen c’est la combinaison d’une garantie de marge et d’un réajustement dynamique des volumes selon l’évolution du marché qu’il convient d’étudier rapidement pour une mise en œuvre au niveau de l’Union après test dans quelques pays.
  • Au niveau français c’est la constitution d’OP horizontales, de bassin qui seule peut donner davantage de pouvoir de négociation aux producteurs et de privilégier le débat.
  • Au niveau de la ferme, ces nouveaux outils devraient permettre une réorientation vers des systèmes de production plus autonomes, plus herbagers, refusant l’industrialisation et la course au volume, grâce à une meilleure valorisation du lait vers des produits régionaux et des services environnementaux, autrement dit vers les biens publics associés à ces modes de production mais encore trop peu rémunérés.
Il ne s’agit donc pas de se replier sur l’Hexagone ou sur l’Europe mais de remettre la priorité sur le marché européen, sur la meilleure valorisation des 85-90% du lait de notre marché interne permettant de préserver des campagnes vivantes et attractives pour plus de 500 millions de citoyens-consommateurs ayant un bon pouvoir d’achat avec des attentes correspondantes. Et pour la modeste part de l’export vers les pays tiers, il faudrait mieux définir nos cibles et nos produits, notamment avec nos voisins du sud de la Méditerranée.
C’est aux politiques de redéfinir ce nouveau cadre stratégique pour préserver l’avenir des éleveurs et du secteur laitier en Europe. Car le mirage du grand export, responsable de la crise laitière actuelle, continue de fasciner, non seulement la Commission, mais aussi nos transformateurs et ceux qui les conseillent, comme en témoigne RLF (5) dans son numéro de l’été 2015 !

André Pflimlin. 7. 8. 2015 afpflimlin@yahoo.fr

Auteur de : *Europe laitière, valoriser tous les territoires pour construire l’avenir ; Editions France Agricole 2010
Ancien ingénieur à l’Institut de l’Elevage. Expert Lait auprès du Comité des Régions à Bruxelles.
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Notes et références :
1. Les communiqués de presse du MinAgri et de la FNPL sont assez différents ; le premier ne donnant aucun chiffre. Les articles et rubriques des sites d’information (AFP, Agrisalon, FA actualités, Hufington post …) sont nettement plus affirmatifs en parlant d’un prix minimum garanti à 340€/ tonne de lait jusqu’à la fin de l’année .
2. Global Dairy Trade NZ est la référence pour les cours mondiaux des produits laitiers et fonctionne comme un marché au cadran pour trouver le prix d’équilibre entre l’offre et la demande ; 2cotations / mois et pour 6mois.
3 .Les cartes de pluviométrie et de température publiées par MARS- JRC travaillant pour la Commission montrent que le quart Nord Ouest de l’UE produisant la moitié du lait UE été peu pénalisé par la sécheresse et la canicule jusqu’à la fin juillet 2015. Par contre il y a plus de craintes pour les maïs de l’Europe continentale. La NZ semble bénéficier d’un printemps favorable pour la nouvelle campagne. Aux Etats unis, même si la sècheresse sévit fortement en Californie, les conditions semblent plus favorables ailleurs, notamment dans le Nord Est ou la croissance de la production laitière est forte en 2015.
4. L’EMB a publié des couts de productions pour plusieurs pays dont l’Allemagne et la France, en s’appuyant sur les données RICA Ce coût moyen est estimé à 400 € la tonne pour la France, rémunération du travail familial incluse et aides laitières déduites. Ces chiffres sont proches de ceux publiés par l’Institut de l’Elevage.
5. RLF 753 p 7 Syndilait dénonce l’explosion des importations de lait de consommation
6. Farmer s’Weekly 24. 8. 2015 : ARLA annonce une nouvelle baisse du prix du lait pour aout.
7. COPA-COGECA ; CP du 2.8. 2015 : appel à manifestation pour le 7.9. 2015 à Bruxelles
8. Le marché laitier mondial est un piège pour les éleveurs et un pari fatal pour l’UE. A Pflimlin 13 07 2015)
9. APE : accord de partenariat économique entre l’UE et les pays d’Afrique de l’Ouest
10. L’avenir du secteur laitier, Avis du Comité des Régions, R. Souchon 16 04 2015
11. Rapport sur la mise en œuvre du «paquet lait» J. Nicholson, Parlement Européen, 7 07 2015
12. Un groupe d’agroéconomistes mène une étude sur l’après quotas pour le compte du Minagri et qui devrait être disponible pour début 2016 Contact A. Trouvé, Agrotech. Paris…
13. La filière laitière aux Etats Unis : restructuration et délocalisation. Inst. Elevage, DEE N°378b, 2008
14. Marchés mondiaux DEE 458 Juin 2015
15. Comparaison des coûts de productions et de la rémunération du travail d des systèmes laitiers du Nord de l’Europe ; mise à jour 2015 à paraitre en septembre prochain
16. www. milkmarket observatory
17. www.europeanmilkboard.org
18. Supplément à Campagnes Solidaires N°305 Mars 2015