lundi 27 avril 2015

Dérives fascistes à la FNSEA ?

LOGO_mediapart
 
Mais que se passe t-il à la FNSEA ? Les opérations musclées se succèdent, menées par des agriculteurs pour le moins en colère, qui utilisent en toute impunité la violence pour se faire entendre : contre les Roms, contre l’État, contre les Zadistes, contre les écolos… Ne doit on y voir que le mal être de citoyens en proie aux marchés financiers, ayant perdu la considération de l’opinion publique face aux dérives de leurs méthodes de production, ou bien donner un sens politique à toutes ces exactions ?

En juin 2013, l’opération « récupérons nos terres » (1), organisée par une cinquantaine d’agriculteurs se revendiquant de la FNSEA, délogeaient des familles de gens du voyage qui occupaient un bout de terrain en friche d’une exploitation agricole dans le canton de Houdan (Yvelines), en les aspergeant de tonnes de lisier. L’affaire n’a fait que peu de bruit dans les médias, pourtant de nombreuses associations (2) se sont alors insurgé contre ces méthodes : « C’est à l’État et aux collectivités locales de gérer la situation, pas à une organisation syndicale de « jouer les auxiliaires de police en faisant justice elle-même par une action moralement scandaleuse et syndicalement irresponsable ». La fédération département du syndicat se bornant à dénoncer « une fois de plus l’inertie de l’administration, qui ne remplit pas son rôle de protection de la propriété privée et qui, par là même, cautionne la transgression des lois ».

En septembre 2013, des agriculteurs syndiqués (FDSEA du Morvan) saccagent le siège du Parc national du Morvan. Ces agriculteurs sont fous de rage à la suite d’une enquête publique relative à des mesures de protection et de restaurations des rives des cours d’eau et des zones humides, s’adressant principalement à des agriculteurs volontaires et financièrement aidés. Pour protester, des tonnes de fumier sont épandues, des tranchées creusées dans des prairies humides, des feux de pneus et de paille allumés. Le journal de l’Environnement relate (3): « La scène s’est déroulée le 18 septembre dernier dans le domaine de la Maison du parc naturel régional du Morvan, à Saint-Brisson (Nièvre). C’est là que près de 70 engins agricoles et leurs quelque 150 conducteurs, encartés à la FDSEA du département, chez les Jeunes Agriculteurs ou sans étiquette, ont convergé pour quelques heures d’un face-à-face tendu avec les responsables du PNR. Le tout sous le regard placide des gendarmes, qui ont laissé les alentours soignés de la Maison du parc se transformer en terrain vague boueux, pendant que des agents du parc se faisaient prendre à partie par des agriculteurs »


En septembre dernier, des agriculteurs bretons brûlent les bâtiments de la Mutuelle Sociale Agricole (leur caisse de sécurité sociale) et des Finances Publiques à Morlaix. Le président de la FDSEA du Finistère, Thierry Merret, félicite publiquement les auteurs du saccage de Morlaix dans un communiqué : « Je tire un coup de chapeau à ceux qui ont osé faire ce qu’ils ont fait. Il faut relativiser, il n’y a pas eu mort d’homme, c’est une forme de témoignage pour dire : Écoutez-nous et un raz-le-bol des besogneux qui sont seulement bons pour avoir des contrôles ».
En ce mois de septembre, 4 actes violents ont eu lieu contre des bâtiments publics, à Morlaix mais aussi Toulouse, Sarrebourg et Questemberg). À ce jour aucune poursuite judiciaire n’a été engagée…


En octobre dernier, Xavier Beulin, le président de la FNSEA s’exprime publiquement (4) à la suite de la mort du jeune Rémi Fraisse et compare les zadistes opposants au barrage de Sivens à « des djihadistes verts ».
Le 5 novembre dernier, à l’appel de la FNSEA, de nombreux agriculteurs manifestent à Nantes pour protester contre les normes environnementales qu’ils jugent trop contraignantes. Durant cette manifestation plusieurs agriculteurs s’en sont pris à des ragondins, « des nuisibles » (5) : « Au cours des actions de la journée, des agriculteurs ont jeté et violenté, couvert de peinture, frappé à coups de pieds et écrasé des ragondins qu’ils ont amenés et déversés en pleine ville. Ces lâchers ont eu lieu à plusieurs reprises, à la vue de tous et face à un large public de manifestants. Un comble au moment même où la FNSEA lance une campagne de communication sur le bien-être animal », écrit L214 dans un communiqué du 6 novembre 2014. Selon Brigitte Gothière, directrice de L214, « Un syndicat qui cautionne des actes d’une telle violence révèle son vrai visage : celui de l’élevage intensif et de la maltraitance institutionnalisée, des poulets et cochons entassés dans des hangars, des animaux castrés à vif, des veaux écornés au fer, et des truies et des poules encagées. »


En novembre dernier, le blocage des axes routiers autour de Paris par les agriculteurs a été marqué par deux accidents de la route (6), dont un mortel. Si une enquête a été ouverte, aucune poursuite n’est aujourd’hui connue contre la FDSEA Île-de-France, qui organisait la manifestation. Celle-ci estime que la responsabilité de l’accident incombe au gouvernement (7) qui n’avait pas mobilisé suffisamment de forces de l’ordre.


Sur le barrage de Sivens, dans les jours qui ont précédé l’évacuation du site par les forces de l’ordre le 6 mars dernier (8), les fédérations départementales de la FNSEA du Tarn, de l’Aveyron, du Tarn-et-Garonne se sont mobilisées, envoyant sur place de véritable milices qui ont encerclé la ZAD, tentant d’imposer un blocus, faisant monter la pression, sous le regard amusé des forces de l’ordre.
Et je ne parlerai pas des milices qui sont créées par agriculteurs pour surveiller leurs biens à la suite de vols, ou bien encore des menaces lancées à l’encontre du gouvernement à propos du paiement des taxes sur l’eau (le principe pollueurs-payeurs qui auraient du être mis en place par les agences de l’eau, qui est pour le moment payés par les usagers…).


Toutes ces exactions, le plus souvent totalement impunies, sont à mettre en rapport avec la sévérité des poursuites menées contre les militants de la Confédération Paysanne. La complicité bienveillante des services de l’État à l’égard du syndicat majoritaire n’est plus à démontrée… Celle du gouvernement non plus, et je ne rappellerai que deux « anecdotes » qui en disent long sur le sujet.
Tout d’abord la participation du Président de la République aux 30 ans de Sofiprotéol, le 3 décembre 2013, l’empire agro-industriel de Xavier Beulin qui pèse plus de 7 milliards d’euro de chiffre d’affaire annuel (voir article sur Sofiprotéol, « La pieuvre agro-industrielle » en page 20 de ce numéro).


Enfin la participation des trois ministres de la République, Stéphane Le Foll (Agriculture), Guillaume Garot (Agroalimentaire), Philippe Martin (Écologie), aux États généraux de l’Agriculture, organisés par la FNSEA le 21 février 2014, juste après la menace lancée par Xavier Beulin quelques jours auparavant : « Il ne faut pas grand-chose pour mettre des milliers d’agriculteurs dans la rue ; ces États généraux, c’est un peu ceux de la dernière chance. C’était ça ou la chienlit »


Les dérives pour le moins ultra-droitières de la FNSEA se succèdent avec trop de régularité pour qu’elles soient le fruit du hasard. L’intervention des troupes de Xavier Beulin à Sivens fait parfaitement l’affaire du gouvernement. Petits arrangements entre amis ? Cela irait dans le sens de l’analyse de Yannis Youlountas… (voir l’article sur Sivens en page 13). De là à penser qu’un accord aurait été passé entre Hollande et Beulin, le premier donnant satisfaction au second quant à « l’ultra-libéralisation » de l’agriculture française, le second offrant au premier la mise à disposition de sa force de frappe (à moins que cela ne soit le contraire !…), il y a un petit fleuve côtier que certains n’hésitent pas à franchir.


Notes
(1) Voir l’article publié par Basta mag le 26 juin 2013, « La FNSEA expulse des gens du voyage avec du lisier » : http://bit.ly/1GyiqyK
(2) Minga, Uravif (Union régionale des associations pour la promotion et la reconnaissance des droits des Tsiganes et Gens du voyage en Île-de-France) et l’Halem (Habitants de Logements Éphémères ou Mobiles).
(3) Le Journal de l’Environnement : http://bit.ly/1A9lyZL
(4) Voir l’Express du 29 octobre : http://bit.ly/1BjGsdE
(5) Voir le reportage vidéo sur la site de Télé Nantes : http://bit.ly/1MlEZFh
(6) Le Parisien, « un mort sur les barrages, les agriculteurs lèvent le blocus » : http://bit.ly/1BZ86gw
(7) Voir article dans le JDD du 21 novembre : http://bit.ly/184ucCc
(8) Voir article sur le site du Lot en Action : http://bit.ly/1wNTujN
***